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Terres d'Irlande, terres... de sang...


Dans l'imaginaire collectif, l'Irlande c'est les forêts d'émeraude aux arbres recouverts de mousse, les multiples lacs dont le miroitement semble marqué par les pas discrets d'une fée, les prés verdoyants à perte de vue, les moutons par centaines sur les hauts pâturages ou le rebord de la route. Pour ceux qui s'y sont intéressé, c'est une culture d'une richesse incomparable, précieusement conservée depuis le fond des âges, c'est la musique celtique avec ses airs de flûte magiques et ses violons endiablés, c'est le claquement des pas des danseurs qui s'élancent dans une gigue enchantée et c'est le folklore de ses contrées les plus sauvages. 

Mais l'Irlande, c'est aussi la famine, la pauvreté et surtout surtout la guerre... C'est Belfast et le conflit entre les catholiques et les protestants, c'est l'oppression exercée par les Anglais, les prisonniers politiques (ou pas malheureusement car même ce droit, on le leur a enlevé...), les grèves de la faim ou de l'hygiène, la violence des représailles. L'Irlande c'est aussi l'IRA, la révolution et la guerre civile. 


Et c'est à cet aspect plutôt méconnu de l'Irlande que Sorj Chalandon s'intéresse dans sa duologie - qu'on pourrait presque qualifier de diptyque - qui comprend Mon Traître et Retour à Killybegs.

Avant d'être un écrivain, Sorj Chalandon c'est un journaliste qui a longtemps travaillé pour  le journal Libération. Et s'il décide par la suite d'écrire sur l'Irlande, ce n'est pas un hasard c'est parce que le conflit qui sévit en Irlande du Nord le touche de près dans sa carrière de journaliste. En tant que reporter, il sera le témoin des oppressions subies par les Irlandais. Et le pire dans tout ça, c'est que ces oppressions ont eu lieu jusqu'à très récemment puisque l'accord de Saint-Andrews (conclu entre l'Angleterre et l'Irlande du Nord) ne sera signé qu'en 2006, permettant enfin à l'Irlande du Nord d'obtenir son indépendance politique en restaurant sa propre Assemblée ! C'est sans aucun doute son expérience de journaliste qui permettra à Sorj Chalandon d'écrire avec tant de justesse ces deux romans que sont Mon Traître et Retour à Killybegs. 


Imaginez un jeune luthier parisien, dont le quotidien est de créer de ses mains de véritables violons, des pièces uniques, qui se retrouve projeté dans l'Irlande du Nord des années 1970, en plein conflit politique. Fasciné par ce pays aux habitants toujours simples et généreux malgré leur pauvreté et les souffrances permanentes qu'ils endurent depuis des siècles, fasciné par les accents de leur musique aux notes profondément justes, Antoine ne peut s'empêcher de compatir pour ce peuple attachant et décide de s'engager à leur côté, dans une bataille qui n'est pas la sienne mais qui le touche profondément. 

Avant toute chose, il faut dire qu'on entre dans cette oeuvre par un titre, Mon Traître, et déjà en deux mots tout est dit : l'affection profonde d'Antoine, la solidarité inépuisable des Irlandais et la brûlure de la réalité lorsque toutes les illusions s'écroulent. Tout le roman a la force de ce titre et le lecteur ne peut s'empêcher de se retrouver mêlé à cette formule si simple et pourtant si forte, à ce sentiment d'incompréhension et de trahison. Le lecteur plonge immédiatement dans cette ambiguïté qui sera celle du roman et qui fut celle de l'Irlande du Nord, dans cette ambiguïté désagréable dont on ne sait pas quoi faire et que l'on n'ose pas juger. 

Le roman s'ouvre sur la rencontre entre Antoine et l'homme qui sera l'être le plus important de toute sa vie, cet homme qui fera l'objet de toute son admiration et de tout son désespoir, cet homme qui le transformera à jamais, dans sa chair et dans son sang, dans son esprit et surtout dans son âme. Tyrone Meehan. Mon traître. Et toute l'histoire qui se déplie à partir de ce simple point n'aura de cesse d'interroger une amitié qui s'est construite au fil des années sur fond d'explosions et de cris apeurés. 


Retour à Killibegs sonne déjà davantage comme un roman irlandais et malgré les accents nostalgiques et heureux de son titre, ce roman sera la porte derrière laquelle se dissimule la tragique histoire de ce doux traître qu'est Tyrone Meehan. C'est à la lecture de ce roman que le voile de mystère est levé peu à peu sur la douloureuse vérité d'une âme irlandaise profondément amoureuse de son pays. Un voile de mystère qui ne dissimulait que ce que l'on devinait déjà...

Ces deux romans ont l'originalité de nous apporter le point de vue de deux personnages complètement différents. Au regard extérieur, touché et peut-être somme toute un peu naïf du parisien s'oppose le regard de Tyrone, un regard vif, désabusé et profondément réaliste. Après l'illusion vient donc le temps de la vérité et la complémentarité de ces deux romans qui adoptent chacun un point de vue différent est essentielle à l'immersion du lecteur dans l'atmosphère dans laquelle baigne l'Irlande du Nord à cette époque. Le lecteur peut alors expérimenter à sa manière un peu de la réalité vive de ce que les Irlandais ont vécu. C'est en partie en cela que réside la force de cette duologie, en ce qu'elle nous fait passer de la douce illusion à la désillusion. Mais pas seulement. 


Sorj Chalandon a une écriture puissante, qui peut même être qualifiée de bouleversante. Ses phrases, souvent courtes sont incisives et tranchantes comme les balles des Anglais qui pleuvent sur le peuple irlandais. En peu de mots il vous touche au cœur et vous transforme. C'est une lecture qui est parfaitement bouleversante. En nous monte un sentiment de révolte et puis de profonde compassion, de haine ou de tristesse et de désespoir, de rage ou d'effondrement au gré des événements qui touchent Tony, Tyrone ou Sheila et tous les autres. 

Parce que ces deux romans renferment un morceau d'histoire malheureusement trop peu connu de nous, parce qu'ils nous font baigner dans la grisaille pluvieuse si typique de l'Irlande mais aussi dans la chaleur dorée des pubs irlandais et dans ce que peut contenir de réconfortant une ballade irlandaise et une bonne bière du pays, parce qu'enfin ils renferment une vraie leçon d'amour et de générosité, ces deux livres méritent d'être découverts, lus, dévorés.

Mais accrochez-vous bien parce que je vous aurais prévenu : vous allez être bouleversés...



Lyra 




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